vendredi 16 mars 2012

au fond du trou

La scène se déroule en 1974, en plein choc pétrolier ("En France, on n'a pas de pétrole mais on a des idées" comme le Gaspi), en période de crise avec le sombre spectre du chômage qui plane en ces temps-là.
Devant cet afflux de demandeurs d'emploi, la télévision régionale (la troisième chaîne, comme on l'appelait alors) vient faire un reportage dans ma ville au taux de chômage déjà remarquablement conséquent. L'équipe de FR3 pose alors ses quatre membres - à l'époque, la technologie et les forces syndicales permettaient encore qu'il y ait un journaliste rédacteur, un journaliste reporter d'images, un sondier et un éclairo - aux abords de l'ANPE locale et interroge des passants.
Une dame, foulard noué sous le menton (il n'est pas question, ici, de religion mais plutôt d'une mode campagnarde et "babouchkesque" destinée à maintenir en vie la mise en plis le plus longtemps possible) et cabas à la main, est accostée et questionnée sur la fragilité de l'emploi. "C'est la faute aux étrangers, argue-t-elle, ils prennent le boulot des Français !" Déjà...


Fernand Reynaud - Le raciste - 1972 - Fr par eclusier

Et là, dans la foulée, comme un coup fomenté (salaud de journaliste !), le caméraman zoome arrière, faisant rentrer dans le cadre un ouvrier d'origine maghrébine (à l'époque, on disait encore un bougnoule ou un raton) en train de creuser une tranchée dans le trottoir, près de l'ANPE - non, ce n'était pas pour l'ADSL ni pour enterrer les lignes électriques et téléphoniques, tout au plus, une canalisation d'eau ou de gaz. Enfin, bref, l'ouvrier suait sang et eau à éventrer le bitume à coups de pioche avant d'en sortir les gravats à l'aide d'une pelle.
"C'est pas un travail
pour un Français !"
"Et son travail, à lui, vous le feriez ?" lance, machiavélique, le journaliste à la matrone.
"Ah ben non ! s'emporte la bonne femme. C'est pas un travail pour un Français !"
La très grosse différence, aujourd'hui, dans le discours du Front national (et de l'UMP), c'est que les étrangers piquent toujours le boulot des Français (de souche) mais qu'il ne faut surtout pas dire que le Français (de souche et de droit) n'en veut toujours pas de ce boulot pourri et mal payé.
Pourtant, depuis, le marteau-piqueur s'est généralisé ; on creuse même des tranchées avec des mini-tractopelles conduit par un O.S. (ouvrier spécialisé) dûment formé - et toujours mal payé, je vous rassure.
Et surtout, la très grosse différence aujourd'hui, c'est que la dame a toujours le même discours mais maintenant, elle est fière de dire que Marine va changer tout ça.
Mais l'ultime différence, celle qui est à peine visible, c'est que désormais, il n'y a plus qu'un journaliste-technicien pour tout faire : la technologie et la course à la rentabilité-productivité a permis que, des quatre membres de l'équipe de 73, trois se retrouvent au bord de la route, juste à côté du mec au fond du trou...

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